jeudi 26 septembre 2013

Tendu Batu PART I

Monter une expédition… Partir loin dans la jungle, s’enfoncer dans ses entrailles visqueuses, gagner la noirceur secrète de la forêt primaire de Bornéo.

Combien d’entre vous, filles et fils de Loti, de Kessel, de Londres et de tant d’autre n’a pas rêvé de visser sur son crane ce maudit vieux chapeau de cuir et de tout quitter, le temps d’une quête, d’un temple maudit ou d’un donjon ?

 Succomber à l’appel de l’aventure… C’est ce vieux fantasme qu’il m’a été permis de réaliser au détour d’un hasard et dont voici le récit.

PART I

J’avais rencontré Jamil quelques semaines auparavant, dans la jungle déjà, « confortablement » installé en bordure du fleuve ou il se livrait, en toute simplicité, à de menus actes de pirateries. Au milieu des volutes bleutées d’anti-moustique nous avions évoqué nos envies, nos projets et nous nous étions retrouvé sur les expéditions.

Il avait clairement l’avantage sur moi. Son métier de biologiste/forestier/flibustier l’amenait régulièrement et de manière prolongée à visiter les coins les plus reculés de la jungle. Il savait chasser, pêcher, cueillir, grimper aux arbres – il connaissait les lieux en somme… Moi j’avais un bateau : nous étions fait pour nous entendre.

Après plusieurs faux départs la date est entendue : nous partons lui et moi pour 3 jours et deux nuits à un peu plus d’une heure de bateau en aval du fleuve. Le parang (machette) à la ceinture et la ténacité ou vous savez, nous devons, à travers jungle inextricable, ouvrir une voie la plus praticable possible jusqu’au sommet du Tendu Batu pour d’éventuelles futures excursions.

Mon agitation augmente à mesure que le départ approche et que le matériel s’entasse devant l’atelier. Il faut préparer les jerricanes d’essence, l’eau en quantité, les vivres (qui se composent essentiellement de nouilles déshydratées et d’œufs durs), le matériel de camping et l’anti-moustique bien sûr. Ne pas oublier les lignes de pêche, la corde d’alpinisme en cas de crapahutage... Et le parang sans qui nul bonheur terrestre n’est possible.

A l’heure dite nous chargeons mon frêle esquif qui plie sous la charge, craque, mais ne rompt pas. C’est un bon présage pour le reste du voyage. Adieux femme, adieux vie tranquille et chat primordial, je pars sur le grand fleuve en expédition ! Je mets les gaz et la sanpan s’élance dans l’azur. C’est partit pour une heure de bonheur le vent dans les cheveux, après c’est l’inconnu…

Alors qu’arrivera-t-il ? La barque tiendra-t-elle jusqu’à bon port ? Sauront-ils éviter les innombrables pièges que recèle la jungle ? Rencontreront-ils les fameux coupeurs de têtes ? Les coupeurs de têtes savent ils que cette pratique ancestrale est démodée et parfaitement interdite ? Vous le saurez en lisant le prochain épisode bien sûr !

Juste une petite photo...

jeudi 12 septembre 2013

Hornbills...

Ce matin on frappe au carreau. C’est pour le moins inhabituel notre chambre étant au premier étage. Serait-ce le Shama ? Non un Hornbill. Un Oriental Pied Hornbill de méchante humeur qui martèle de son gros bec caparaçonné notre frêle fenêtre. Tikka disparaît un peu plus sous la couverture et me pris de régler cette histoire avant qu’il ne brise la vitre.

C’est que le Hornbill est un oiseau armé. Il ne sort jamais sans son bec, énorme, colossal et sans aucun doute terriblement acéré. Par ailleurs, si le Oriental Pied n’est pas le plus imposant de la famille, il fait tout de même ses 70cm au garrot ! Bref il avait la force mais j’avais l’agilité.

En vérité désamorcer ce genre d’attaque est assez facile. Il suffit de vous placer devant la fenêtre, côté chambre évidemment… Je vous explique.

Le Hornbill est un oiseau territorial. En couple pour la vie, madame et monsieur parcourent leur domaine vital en rappelant à chacun par des chants vraiment affreux qu’ils sont chez eux. En cas d’intrusion l’affrontement est inévitable mais rarement mortel.

Or certaines de nos vitres n’ont plus de moustiquaire... Nos Hornbills, tout à leur inspection matinale s’y seront reflétés et reconnus. « Quoi ? Deux intrus chez nous !? Non mais il se fou de ma gueule ! Raymonde à l’attaque ! » Comme quoi les moustiquaires ne protègent pas que des insectes !

Ce matin, dès que je me suis placé derrière la vitre, le reflet a disparu au profit de ma belle gueule burinée de prince pirate tout sourire dehors. L’oiseau n’a pas tout de suite compris ce qui se passait. Il a suspendu son attaque l’air un peu effaré, a lentement tourné la tête de côté pour mieux me regarder et il a compris.

Honteux d’avoir été surpris dans d’aussi ridicules circonstances il s’en est allé bien vite. Simple je vous dis…

 de gauche à droite: le roi, sa femme et le petit prince.


 Bébé Orangutan à ses acrobaties


 Redleaf monkey


 Tikka que les trésors de la forêt émerveillent toujours...


 et votre serviteur avec son nouveau sabre laser.


jeudi 5 septembre 2013

Shama et Coucal

A Sukau les journées commencent par un levé de soleil.

Aux premières lueurs du jour les fleurs innombrables s’étirent en baillant, elles se secouent ensuite comme des petits chiens et alors seulement, une à une, se déroulent lentement et sans pudeur étalent leur voluptueux atours.

Il n’en faut pas plus aux oiseaux pour sortir de leur cachette. Les nocturnes, la patte un peu trainante las d’une nuit de labeur croisent les diurnes surexcités. Il est 6 heure, place au chant territorial ! Ca cliquette, ça sifflote, ça croasse à qui mieux-mieux mais le concert ne serait pas complet si, après quelques toussotements caverneux, notre muezzine n’entamait à son tour et à pleins poumons les prières du matin.

C’est l’heure que choisi Tikka pour se lever. Seule, elle arpente silencieusement les immenses couloirs de notre luxueuse villa. Inutile de lui parler. Le nez collé à la moustiquaire, pour une heure, elle est toute entière à l’observation et à l’enregistrement méthodique des mœurs des « à plumes » et plus particulièrement de son protégé, le white-Crown Shama.

Mais que vaut à ce maudit volatile la religieuse dévotion que ma femme me refuse encore? Le White-Crown Shama n’a pourtant rien de très particulier aux premiers abords. C’est une grosse pie, avec, à son avantage, des reflets bleutés sur le dos, un beau ventre abricot et bien sûr une petite couronne blanche sur le sommet du crâne. Tout de même cela peut-il expliquer tant de ferveur ? Comment trouver plus d’attraits à un Shama à plumes qu’à votre serviteur à poils ?

Vous me le direz quand vous viendrez nous rendre visite…

A propos d’oiseau… J’ai appris une nouvelle recette à la portée de tous, vraiment originale et parfaite pour surprendre son monde. C’est une spécialité Iban, une tribu de Sarawak. On m’a assuré que cette pratique gastronomique n’avait plus cours chez nous, comprenez sur les rives du kinabatangan, et c’est bien dommage car l’authentique magie se fait trop rare de nos jours.

-       Comptez un couple de Grand Coucal pour 4 personnes. Choisissez les à l’époque de la ponte car c’est des petits que nous allons nous servir.

c'est ça un Great Coucal - pas commode.

-       Une semaine après l’éclosion rendez-vous auprès du nid. Attention : le Grand Coucal peut être agressif, assurez-vous toujours que les parents ne sont pas à proximité avant de tenter quoi que ce soit.

-       Prenez délicatement des oisillons dans le creux de votre paume en laissant dépasser les pattes entre vos doigts. Serrez les dents et de votre main laissée libre cassez la patte droite des oisillons chacun à leur tour. Replacez les dans le nid.

A leur retour, les parents Coucal (on ne dit pas Coucaux), trouvant leur progéniture dans le triste état dans lequel vous les avez mis, vont derechef et à tire d’aile s’en allé collecter dans la forêt des herbes médicinales. Et c’est là que la magie opère. Le Grand Coucal connaît les herbes secrètes. Il les connaît si bien que ses oisillons vont se remettrent et guérirent en moins de temps qu’il ne me vaut pour écrire cette histoire! Magique je vous dis.

-       Revenez après 2 semaines.

-       Saisissez vous des oisillons en suivant la même méthode ci-dessus décrite et brisez la patte gauche. Ne prêter aucune attention aux cris de détresse.

Et c’est reparti. Les parents s’en retournent chercher des herbes magiques et c’est ainsi qu’on obtient des oisillons gavés à la l’herbe magique.

-       Patientez encore 2 semaines et collectez les oisillons.

-       Engraissez les pendant une semaine à base de riz gluant.

-       Ecorchez et immerger définitivement dans une grande bouteille d’alcool de riz.

-       Laissez infuser quelques années. C’est prêt !

Vous avez une délicieuse potion médicinale qui accompagne par ailleurs les viandes rouges les plus variées du travers de porc-épic à la queue Monitor Lézard.

Un peu de magie pour Noël ?

dimanche 1 septembre 2013

Sukau

Quand on descend de l’hôpital en venant de Sandakan, c’est la mosquée que l’on voit en premier. C’est un petit bâtiment simple. A peine un hexagone de planches et de briques avec un toit pointu et, posé en équilibre au faît, une coiffe en croissant de lune qui brille au soleil. En serrant fort on doit pouvoir y faire asseoir une vingtaine de personnes mais c’est rare qu’il y en est autant de toute façon.

Notre mosquée devait faire un peu pitié car on la repeinte avant le ramadan. A l’heure où je vous parle, les murs sont jaunes canari et le toit bleu roi. C’est du meilleur effet. La ferveur de tout le village s’en est trouvée ragaillardie. Le minaret en bois qui se dresse à côté mais pour combien de temps encore a lui aussi subit une cure de jeunesse et l’appel du muezzine résonne désormais en technicolor.

Passé la mosquée vous entrez véritablement dans le cœur du village. C’est une grande place cabossée, poussiéreuse le matin, boueuse le soir et cernée de braves maisons vermoulues. Chacune de ces façades assoupies est le siège d’activités plus ou moins secrètes que mes humeurs vagabondes percent au jour le jour.

Impossible de deviner sans franchir le seuil que ce salon est une poissonnerie, cette arrière cuisine une superette et que cette respectable grand-mère à qui la veille j’avais déchargé les volumineux cartons est à la tête d’un trafic de cigarettes de contrebande !

L’école élémentaire prolonge un peu la perspective en laissant entrevoir derrière son sévère portail un grand espace d’herbe rafraichissante. Il faut signaler que le seul « restaurant » qui vaille en ville est la cantine scolaire. Le fait est sans doute unique au monde.

Le dernier côté est le Kinabatangan. Chocolat avec de vraies pépites qui flottent sur le dessus. On pouvait y accéder il y a longtemps par une jolie jetée mais le ponton a été emporté. Les visiteurs doivent désormais emprunter la voie des hautes herbes le long de l’ancien escalier - c’est rageant. Le chemin est glissant, la planche trop souple et les accidents malheureusement fréquents.

Ca en fait un bon endroit pour fumer des cigarettes.

Au centre de ce petit univers trônent les institutions les plus remarquables et les plus essentielles. Le bureau du Barisan national, la salle des fêtes et bien sûr, j’ose à peine prononcer son nom tant il est précieux et délicat, le point Internet.

C’est sur cette place que chaque matin et chaque soir arrivent et repartent les enfants de la région. Beaucoup viennent de loin en bateaux. Les jeunes filles portent de longs tudongs blancs, parfois rose ou violet et quand la cloche sonne c’est comme une multitude de papillons géants qui s’envolent en riant.

Le fourgon scolaire :) dont nul se s'échappe!